Relance économique de Kédougou : ces facteurs qui maintiennent la région dans la pauvreté

Kédougou
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Érigée en région, à l’issue du découpage de l’ancienne région de Tambacounda, par la loi 2008-14 du 18 mars 2008, Kédougou s’étend sur une superficie de 16.896 Km2. Elle est limitée : à l’Ouest et au Nord par la région de Tambacounda, à l’Est par la République du Mali et au Sud par la République de Guinée. Kédougou dispose d’énormes potentialités, en termes de pluviométrie, en terres arables, d’une abondante et riche biodiversité, d’énormes gisements miniers et aurifères. Plus d’une décennie plus tard, malgré les efforts consentis par le régime en place notamment à travers le PSE, la région collinaire considérée comme la deuxième région la plus pauvre du Sénégal, peine toujours à connaitre une relance économique. Sud Quotidien a donné la parole aux acteurs économiques pour déceler les points forts et faiblesses de ladite région qui doit son nom au malinké : Kédougou signifiant la «Terre des hommes».

 

CHEIKH SIDIYA FALL, PRÉSIDENT DES OPÉRATEURS ÉCONOMIQUES

«20.000 francs CFA la tonne… une injustice qui décourage les vendeurs»

«Par la grâce de Dieu, nous n’avons jamais eu de ruptures en approvisionnement émanant de notre volonté. De nos jours, on ne peut citer les régions aux énormes potentialités en omettant Kédougou, qui polarisent l’ensemble des pays de la sous-région à cause de l’or. Malheureusement, des disparités existent entre elle et les autres régions du Sénégal. C’est le même constat dans les villages les plus reculés, disposant de terres arables, où les firmes spolient les terres des populations autochtones ; alors que ça devrait être une relation gagnant-gagnant.

Par rapport au commerce, la distance (702 km-ndlr) entre Dakar, la capitale économique du Sénégal, et Kédougou pose problème, à telle enseigne que les prix de transport rendent les produits excessivement chers. Par exemple, c’est le cas avec la carotte dont le kilogramme coûte 1000 francs CFA, alors que la région regorge d’énormes potentialités. Il y a également le problème d’approvisionnement en produits halieutiques et ceci malgré la mise en place de projets piscicoles à Itato. Nous invitons les autres sociétés minières à suivre l’exemple de BAMABDJI, en s’approvisionnant sur le marché local. Il y a aussi une cherté des produits céréaliers qui s’explique, en partie, par la guerre de l’Ukraine, conduisant à une rupture sinon à sa cherté. D’ailleurs, devrions-nous dépendre d’autres pays pour nous nourrir alors que nous nous devions être autosuffisants, à en juger par nos cours d’eau et surfaces cultivables ?  Figurez-vous que pour le transport d’un quelconque produit de Dakar à Kédougou, surtout en cette période hivernale, nous payons 20.000 francs CFA la tonne. Et si, par malheur, le camion dispose d’une capacité de chargement de 30 tonnes et que notre marchandise en pèse 10 ou 15, alors nous devrons payer le reste du tonnage. Une injustice qui décourage les vendeurs. A cela s’ajoutent les surtaxes qui rendent certains produits importés excessivement chers. Nous lançons un appel à l’État et aux sociétés minières à soutenir davantage des projets de développement et à investir en masse dans la région.»

KALIDOU CISSOKHO, DIRECTEUR ARD 

 «La faiblesse majeure de la région de Kédougou se trouve être son enclavement interne et externe»

«Parmi les forces de la région de Kédougou, nous avons la disponibilité et fertilité des terres, une bonne pluviométrie avec en moyenne 1300 mm/an, un réseau hydrographique dense avec la Falémé, le fleuve Gambie, des affluents et défluents, des pâturages riches et diversifiés, d’importantes ressources minières telles que l’or, le marbre, le fer, etc., une diversité ethnique et culturelle ; des offres touristiques importantes PNNK, ZIC (Zone d’Intérêt Cynégétique). Nous avons également les chutes d’eau de Dindéfélo, de Toumania et de Magnafé ; la richesse du patrimoine forestier et faunique notamment le pays Bassari qui est classé patrimoine mondial de l’humanité. Il y a aussi la transformation de produits locaux : Fonio, Karité, fruits de baobab, des apports de qualité des programmes/projets étatiques qui commencent à porter leur fruit comme PADAER, Tiers Sud, Bay Daare, PNDL, PUMA, PUDC, et la présence de partenaires au développement actifs notamment USAID, UNICEF, World Vision, SOS Sahel, etc.

La faiblesse majeure de la région de Kédougou se trouve être son enclavement interne et externe qui limite le déplacement des personnes et des biens. A cela s’ajoute une insécurité grandissante due à l’orpaillage, la porosité des frontières. Nous notons aussi une faible exploitation des potentialités agricoles et pastorales, un problème d’accès aux zones de production, un faible équipement des producteurs agricoles en équipements de labour, de

récolte et de post-récolte, un difficile accès à l’eau potable et (problème) de maîtrise de l’eau pour la production. Il y  a aussi un faible accès à l’électrification, la prolifération des feux de brousse, le déboisement massif de l’environnement par les orpailleurs, les agriculteurs et les transhumants, etc. un faible dynamisme organisationnel des PME/PMI.»

QUID DES RÉALISATIONS DU PSE ?

«Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a des projets identifiés directement dans le PAP 1 du PSE pour la région de Kédougou et gérés directement par le niveau central. Par exemple, dans l’Axe I du PSE relatif à la Transformation structurelle de l’économie, l’État du Sénégal misait beaucoup sur l’exploitation minière notamment aurifère. Ainsi, en plus de la société de Sabadola qui existait avant, il y a eu la deuxième société d’exploitation de Mako (PMC) qui a permis de renforcer fortement les produits d’exportation du Sénégal et, par ricochet, l’économie du pays (voir Rapport ITIE 2021). Ainsi, selon les rapports de l’ANSD, l’or est devenu le premier produit d’exportation au Sénégal.

Par ailleurs, si l’on considère que le PSE est le seul document de référence en matière de politique économique et sociale, les réalisations de l’État et de ses partenaires dans la région de Kédougou, depuis 2014, se sont chiffrées à environ 244.309.507.946 FCFA (Cf : Conférence territoriale 2013).»

DIALIBA TANDIAN, MANAGER DE KEOH

 «Zone de sanction des fonctionnaires… deuxième région la plus pauvre»

«La région de Kédougou compte 19 communes et 3 départements. Nous voyons qu’aujourd’hui des efforts sont en train d’être faits pour cette région qui était avant considérée comme une zone de sanction des fonctionnaires, à cause de son éloignement. Mais, aujourd’hui, les choses ont changé notamment grace aux infrastructures routières qui désenclavent la région collinaire. Par exemple, dans le cadre du Sénégal émergent (PSE), la route nationale numéro 7 est bien faite et relie désormais les communes de Kédougou, Salémata et Saraya au reste du pays. Il y a aussi l’implantation de structures étatiques, de sûreté mais aussi sanitaires.

Kédougou est une zone assez dynamique sur le plan économique, surtout sur le plan minier, et du coup attire beaucoup de gens venant du pays mais aussi de la sous-région. Nous avons 3 entreprises minières telles que Sabadola Gold operations, Pettowal Mining Compagny, IAM, mais aussi  une dizaine d’entreprises en phase de recherches, sans compter les sites artisanaux communément appelés «dioura» et qui attirent énormément de monde. Ainsi, beaucoup d’entreprises minières ont vu le jour et, grâce à leur conséquent approvisionnement sur le marché local, boostent l’économie. Les femmes aussi développent leurs petits commerces par la vente de jus et bacs de glace; mais également la mise en place de groupements féminins ou encore la vente de poulets de chair.

Au delà de cet aspect, Kédougou est aussi une zone à vocation agricole, avec une forte pluviométrie de 4 à 6 mois, d’importants cours d’eau avec le fleuve Gambie, et une importante surface cultivable. La région de Kédougou dispose aussi d’importants arbres à fruits comme le zaban, le pain de singe, beurre de karité, huile de palme… Cependant, ces opportunités mal-exploitées constituent autant de facteurs qui ralentissent le développement de la région. S’il est vrai que les capitales régionales et départementales sont désenclavées c’est tout le contraire des communes et villages où les habitants de certains villages ne peuvent pas accéder à leur chef-lieu de commune, surtout pendant la période hivernale. C’est le cas des localités du département de Saraya, sur l’axe Samécouta-Missira-Dantila jusqu’à Sékouto-Toussala qui sont coupées de leur chef-lieu de commune, Médina Baffé, par le fleuve. C’est le même cas dans le département de Salémata.

Toujours en milieu rural, les femmes ne bénéficient pas de mesures d’accompagnement pour valoriser les importants produits non laineux dont disposent ces zones, notamment par l’exportation de ces derniers mais aussi et surtout les autorisations FRA qu’elles peinent à obtenir et qui permettront à ces groupements féminins de commercialiser leurs produits dans les normes. L’agriculture y demeure rudimentaire, à cause du manque criard de matériels surtout l’absence de tracteurs adaptés à la zone dont le type de sol est atypique. A la place de ces engins lourds inadaptés à la zone, un retour des motoculteurs, comme en 2012, en partenariat avec le lycée technique, pourrait rentabiliser l’agriculture. Le manque de formation des jeunes est un autre facteur qui freine le développement.

L’ampleur des problèmes rencontrés aujourd’hui vient du fait qu’avec l’implantation des sociétés minières, l’espoir était né. Hélas ! Des années après, il y a un faible recrutement de la jeunesse. De plus, c’est inadmissible qu’avec ces centaines de milliards tirés de l’exploitation aurifère qui renflouent les caisses de l’Etat, Kédougou soit la deuxième région la plus pauvre du Sénégal. Autant de facteurs qui ralentissent la croissance économique de la région.»

PAPA ALIOUNE DIENG

 

source: https://www.sudquotidien.sn/relance-economique-de-kedougou-ces-facteurs-qui-maintiennent-la-region-dans-la-pauvrete/