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L’OBS- Le Secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de la Senelec (Satel), Souleymane Souaré, est convaincu que la récurrence des délestages et des coupures d’électricité résulte du retard dans la mise en œuvre du Plan Takal. Dans cet entretien, le responsable syndical revient, pour s’en offusquer, sur l’incohérence des politiques énergétiques due, essentiellement, aux changements de régimes. Sur cette problématique de la crise énergétique au Sénégal, M. Souaré décrie le coût des errements des politiciens sur le contribuable sénégalais.  Il appelle les autorités à respecter à la lettre leurs engagements. Entretien…  

 

Qu’est-ce qui explique la persistance de la crise énergétique au Sénégal ?

Il y a deux explications. La première, c’est qu’on ne peut pas faire la genèse de la crise énergétique sans parler des différentes politiques énergétiques d’avant 1998. Il y a eu, avant 1998, une situation internationale marquée par le désengagement des bailleurs de fonds classiques, notamment la Banque mondiale et l’Agence française de développement (Afd) sur les projets, sans l’implication des privés internationaux et nationaux. Pendant cette période, ces bailleurs de fonds pensaient que l’Etat devait se désengager du secteur de l’énergie et laisser la place aux privés. Cette exigence des bailleurs était adossée aux politiques d’ajustement structurel. Le plus compliqué, en son temps, c’était la privatisation de la Senelec, compte tenu d’une forte syndicalisation et de la résistance internes des travailleurs à la privatisation. Finalement, dans les négociations, il y a eu l’implication de certains partis d’opposition, et je rappelle que le député Iba Der Thiam s’était félicité de la médiation entre l’Etat et le Sutelec (Syndicat unique des travailleurs de l’électricité). Le protocole d’accord qui a sanctionné ces négociations a été le vote de la Loi d’orientation n°98-29 qui stipulait que la Senelec, à partir de 1998, était une société anonyme à participation publique majoritaire, et l’Etat allait céder, dans le capital de l’entreprise, la place à un partenaire stratégique qui devait détenir au minimum 34,5%.

Cette Loi est, selon vous, le condensé des difficultés de la Senelec ?

Elle est la source des difficultés de Senelec. Cette Loi d’orientation est pour beaucoup dans la crise que vit le secteur de l’énergie, avec deux notions antinomiques dans la gestion de la boîte.D’abord les règles de gestion dans une société anonyme et des règles de gestion d’une entreprise à participation publique qui est soumise au régime du Code des marchés publics. Nous sommes donc astreints aux mêmes règles que les entreprises qui sont dans le giron de l’Etat. En plus de cela, la Senelec est soumise au contrôle du Comité de régulation du secteur de l’énergie, quifixe ses revenus et autorise ses tarifs. Donc, cette notion de revenu maximum autorisé impose à la Senelec de faire valider ses revenus et ses tarifs par la Commission de régulation.

 

Au-delà de la mainmise de l’Etat, la Senelec bénéficie pourtant de la subvention à même de compenser certaines pertes ?

C’est ce schéma que je viens d’expliquer qui pousse souvent l’Etat à subventionner le tarif au profit du consommateur pour éviter une augmentation. De 2000 à 2012, cette compensation a dépassé les 325 milliards de FCfa. Avec la Loi d’orientation, la Senelec n’a pas les coudées franches, c’est un service public dans un environnement privé. On permet juste à l’entreprise d’équilibrer ses comptes, il nous est interdit de faire des bénéfices.

 

Ceci, malgré la compensation ?

La compensation nous desserre, c’est même un gros handicap, car elle arrive tard et souvent avec des frais financiers énormes que la Senelec supporte pour récupérer cet argent, ce sont aussi des lettres de confort qu’on négociait avecdes banques à un taux de 10%, de l’argent qu’on dépensait sans l’avoir encore reçu. D’autres difficultés sont liées à la trésorerie. Ces difficultés de trésorerie sont énormes et ont fini par rendre la Senelec insolvable aux yeux de ses fournisseurs.  

 

Quand vous résumez, pour l’essentiel, la crise énergétique à la Loi d’orientation de 98, vous mettez du coup les hommes politiques au banc des accusés ?

Bien sûr que oui ! Il est temps pour le Sénégal que tous les acteurs politiques aillent vers l’Etat pour s’imprégner des problèmes majeurs du pays avant de formuler des critiques ou de faire des propositions de sortie de crise. Les politiques n’ont pas le droit de prendre en charge des questions qu’ils ne maîtrisent pas ou de nous coûter cher une fois aux affaires. Aujourd’hui, si l’on veut réussir le Plan Sénégal émergent (Pse), un des fondamentaux, c’est le règlement définitif de la question de l’électricité. Cela ne peut être possible que si l’Etat respecte scrupuleusement la mise en œuvre des différents plans de sortie de crise qu’il s’est assignés. Cet impératif doit être obligatoirement au-dessus des considérations et autres clivages politiques. Vous imaginez qu’entre 1998 et aujourd’hui, il y a eu deux ruptures : la privatisation de Senelec et la remise en cause de cette même privatisation due à un changement de régime. La privatisation a été rompue par les libéraux, et le coût réel de la rupture est de 86 milliards de FCfa. Les Canadiens ont été payés à hauteur de 39,5 milliards de FCfa, représentant les 34,5%, c’est-à-dire le ticket d’entrée dans le capital de Senelec. 39,5 milliards que l’Etat du Sénégal a remboursés au partenaire stratégique. Entre 2000 et 2002, Senelec perdait 1,5 milliard de FCfa par mois sur le tarif et, finalement, en 2002, pour éviter que l’entreprise soit sous le coup de la sanction de l’Ohada, la dette de la Senelec qui était de 40 milliards a été payée par l’Etat du Sénégal. Les 40 milliards et les 39 milliards font environ 80 milliards, en plus, l’Etat a donné aux privés 6,5 milliards pour se séparer du partenaire stratégique à l’amiable. Ce qui fait 86 milliards de FCfa de perte pour le contribuable sénégalais. La cause de cette perte, c’est le changement de régime et du fait des errements des politiques, le contribuable a payé la note.

Vous semblez fustiger l’incohérence des différents régimes dans leurs politiques énergétiques ?

C’est cela,ceux qui ont voté la Loid’orientation deux ans auparavant, ce sont ceux-là mêmes qui ont rompu la privatisation de la Senelec. Le Pr Abdoulaye Bathily était, en son temps, le ministre de l’Energie et député à l’Assemblée nationale avant d’êtreministre. Personne ne comprend les errements des hommes politiques qui nous coûtent cher, ils sont aussi pour beaucoup dans les difficultés de la Senelec. De 2000 à 2012, l’Etat a subventionné l’entreprise pour plus de 325 milliards à titre de compensation des tarifs. Si l’on y ajoute les investissements des privés (Kounoune Power), de l’Etat du Sénégal à travers la C 6 de Bel-Air et les lignes de transport comme Touba-Tobène-Kaolack, les investissements faits dans le cadre du Plan Takal, on n’est pas loin des 1 000 milliards de FCfa. Si on n’avait pas remis en cause la privatisation, on peut considérer que tous ces investissements auraient pu être supportés par le partenaire stratégique et non le contribuable sénégalais à travers l’Etat.

 

Du Plan Takal, on est aujourd’hui au Mix énergétique, est-ce à dire que le Plan Takal s’est avéré inefficace ?

Rappelons qu’en 2010, un diagnostic a montré l’ampleur du mal qui gangrène la Senelec, ce qui a conduit à la mise en place du Plan Takal, un plan qui, aujourd’hui, a connu le même sort que la privatisation de l’entreprise. Ce Plan Takal est mis en place en 2011, peu avant les élections, dans un contexte qui ne sied pas. Cela, je l’avais dit à Karim Wade et aujourd’hui, l’histoire m’a donné raison, je voyais le syndrome de 1998venir.Arrivées au pouvoir en 2012, lesnouvelles autorités changent de discours pour dire que le Plan Takal est une trouvaille politique. Aujourd’hui, dans le cadre du Plan Sénégal émergent (Pse), le ministre de l’Energie, Maïmouna Ndoye Seck, parle de 1 900 milliards de FCfa pour régler la crise énergétique. Ces 1900 milliards étaient bel et bien prévus dans le Plan Takal, ce n’est donc pas un chiffre sorti ex nihilo, la location qu’on fustigeait dans le Plan Takal continue bizarrement à Tambacounda, Ziguinchor, Kédougou…

Ce Plan Takal était-il la solution durable et définitive à la crise énergétique ?

Ce Plan est issu de l’audit de plusieurs cabinets, avec la coordination du cabinet MC Insey. Des recommandations ont été faites suite au diagnostic desdifférents cabinets. Le Plan visait lasécurisation des approvisionnements de l’entreprise en combustible, la mise à niveau et la consolidation des capacités existantes, donc des acquis, leur extension et augmentation, la mise en place des capacités de sortie de crise, etc. Il s’élevait à 450 milliards de FCfa devant provenir des taxes parafiscales.

Concrètement, qu’est-ce qui explique la récurrence des coupures d’électricité partout dans le pays ?

Les délestages et les coupures d’électricité sont dus au retard noté dans la mise en œuvre du Plan Takal telle que la réhabilitation des centrales de la Senelec, du réseau de distribution électrique de l’entreprise, etc. Le Plan Takal avait prévu de réparer les machines vétustes, de récupérer 6 Mwtts rien qu’à Dakar. On parle actuellement de Mix énergétique qui n’est qu’une simple formule bien loin d’être un programme, mais plutôt une démarche. Sans verser dans des critiques faciles, ce que nous voyons n’est que du tâtonnement.

Pourtant le Mix énergétique mise aussi et surtout sur les énergies renouvelables et le gaz ?

Mais avec le gaz, on est obligé de dépendre de la Mauritanie, car tout ce dont on a besoin en gaz, on ne peut pas le produire, et, malheureusement, nous ne pouvons pas certifier de la stabilité politique ni du respect des engagements de nos voisins. L’expérience a montré que les problèmes que nous avons, c’estsurtout avec nos voisins, et il n’est même pas logique de confier son trésor au voisin. Il nous faut construire notre propre souveraineté énergétique. Avec le Plan Takal, l’Etat était fortement impliqué dans le règlement de la crise énergétique, nous sommes sortis d’une situation où l’Etat était au centre, et aujourd’hui, iln’est plus impliqué au même degré. Ce qui aggrave la situation de la Senelec. Les énergies renouvelables ne peuvent pasrégler une situation de crise, ce n’est pas stable et c’est trop cher pour un pays comme le nôtre. Si le Sénégal a l’ambition d’être un pays leader dans la sous-région, la première chose qu’il doit maîtriser, c’est la souveraineté énergétique.

REALISE PAR

JEAN-PIERRE MANE

 

source :http://www.gfm.sn/souleymane-souare-secretaire-general-du-satel-la-recurrence-des-delestages-et-des-coupures-delectricite-resulte-du-retard-dans-la-mise-en-oeuvre-du-plan-takal/